Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 2.djvu/328

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qu’il prononça, à cette occasion, aux citoyens, — non, — aux traîtres réunis sur la place d’Armes ; le voici :


Messieurs,

Je me croirais indigne de la confiance dont vous m’avez constamment honoré depuis les troubles qui déchirent notre trop malheureux pays, si je ne choisissais l’instant qui nous réunit tous, pour vous faire un tableau des horreurs auxquelles nous sommes en proie.

Le spectacle accablant de l’incendie qui détruit la riche plaine de Léogane, le souvenir affreux de la destruction de la province du Nord, l’état cruel de celles du Sud et de l’Ouest, sont sans doute faits pour attrister vos cœurs. Eh bien ! Messieurs, ces malheurs, quelque grands qu’ils soient, ne sont rien en raison de ceux qui nous sont préparés. Vous n’ignorez pas sans doute la politique barbare et sanguinaire des commissaires Polvérel el Sonthonax ; vous n’ignorez pas l’ordre par eux donné du désarmement général, pour pouvoir sans péril s’abreuver de notre sang. Cet ordre, déjà exécuté dans la plus grande partie de la colonie, semble leur assurer le succès de leurs projets dévastateurs.

La France, notre mère-patrie, en proie à des divisions intestines, résultat des crimes commis dans son sein, gémit sans doute sur notre situation, mais ne peut nous protéger. L’Espagnol indigné, parce qu’il nous croit les complices de tous les forfaits exécutés par une secte abominable, nous menace d’entrer dans notre territoire dont il est déjà voisin, la torche d’une main et le poignard de l’autre, si nous ne nous hâtons de reconnaître sa puissance. L’Anglais, touché de nos malheurs, nous offre sa protection.

Je sais, Messieurs, qu’il est dur à des Français que l’honneur a toujours guidés, d’abandonner leurs drapeaux, mais telle est la fatalité de notre sort, qu’il faut opter entre le fer meurtrier des destructeurs de la plus riche des contrées, la domination espagnole, ou la protection anglaise. Je ne me permettrai pas de chercher à influer par mon opinion sur le parti que nous devons prendre : plus jaloux de votre satisfaction que de la mienne, c’est à vous de prononcer. Je vous exhorte seulement à réfléchir sur vos convenances, nos rapports commerciaux, et sur les avantages que nous pouvons retirer de l’adoption d’un des deux derniers partis.

Croyez, Messieurs, que la France ne saurait vous blâmer d’avoir cherché à conserver les restes infortunés des hommes et des propriétés de cette colonie. S’il est des cas où l’abandon de ses drapeaux est excu-