Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 3.djvu/137

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En écrivant sa lettre, Laveaux oubliait sans doute ou il ignorait que Sonthonax, son patron, en novembre 1793, avait regretté aussi de n’être pas un noir. Pourquoi donc Rodrigue n’eût-il pas pu regretter de n’être pas un mulâtre ? N’y a-t-il pas aussi des mulâtres qui ont pu regretter de n’être pas blanc ou noir ? Toutes ces pauvres distinctions de couleur ne sont imputables qu’au régime colonial établi par les blancs eux-mêmes. Laveaux le savait bien ! Et voyez quelle opinion il avait des sentimens des noirs ! Il les ravalait au niveau de ces colons qui haïssaient leurs enfans ; il les supposait sans entrailles pour leurs descendais !

Quittons un moment le rapport de Marec, qui nous instruit si bien des sentimens de Laveaux, afin de faire voir sur quoi il fondait la bonne opinion qu’il avait de ceux des noirs pour les blancs. Le 1er mars, étant à la Petite-Rivière de l’Artibonite, T. Louverture lui écrivit :

« Les soucis et les chagrins que vous me marquez avoir, me sont bien sensibles. Pour un bon père comme vous, qui aime tant ses enfans, soyez persuadé que je les partage avec vous, me doutant bien ce qui en est cause. Mais, mon général, que la volonté de Dieu se fasse ! Patience bat la force ! Doucement allé loin ![1] »

Le 12 mars, il lui écrit de nouveau :

« Les noirs ont trop d’ennemis ; mais avec la grâce de Dieu, nous déjouerons leurs projets. Notre bon père les aime trop, pour ne pas réussir à les rendre tous heureux… Je ne sais comment m’exprimer pour vous remercier de tout ce que vous me dites d’agréable. Que je suis heureux

  1. Doucement allé loin est un proverbe créole qui signifie : En prenant bien ses mesures, on réussit avec le temps.