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nommer membre du corps législatif ? On voit qu’au Cap, il ne manquait pas d’intrigans qui eussent voulu jouir de cet honneur ; et d’après le passé, nous sommes en droit de soupçonner les blancs d’avoir été les auteurs de ces intrigues.


Le 20 novembre, Laveaux adressa une lettre à Jean François. La voici :


E. Laveaux, gouverneur général, à Jean François.


Le citoyen que vous avez envoyé est arrivé à bon port, et m’a fait part, ainsi qu’à Villatte, de vos sentiments. Il est toujours temps de réparer ses torts. Je crois à la sincérité de vos sentiments, et je vais, d’après cela, vous découvrir bien des choses qui prouvent le caractère de la nation espagnole, et les risques que vous avez courus.

Votre tête a été offerte pour le rachat de tous les prisonniers espagnols qui sont au pouvoir des Français républicains. Il fallait faire commettre un crime, et mon cœur n’est pas né pour des actions aussi noires. Oui, je désire vous avoir, vous et tous les nègres qui sont avec vous ; mais je vous veux revenus de vos erreurs, repentants de bonne foi de l’oubli que vous avez fait de votre patrie. Revenez, et jurez de faire autant de bien à votre patrie, que vous lui avez fait de mal, et tout le passé est oublié. La République française, en donnant la liberté générale, a voulu se donner des citoyens ; elle ne cherche point à se venger ; elle veut des hommes libres, et non des esclaves ; elle veut retrouver des frères, elle ne cherche point à les trouver coupables…

Regardez le cruel assassinat commis au Fort-Dauphin. Ce sont eux (les Espagnols) qui vous l’ont fait faire ; et pour se justifier, ils vous accusent : dans les gazettes anglaises, vous seul paraissez coupable. Pour se laver, pour avoir leurs prisonniers, ils offrent votre tête.

Réfléchissez à leur conduite infâme avec Ogé. Qui l’a livré aux Français ? Ce sont les Espagnols. Le même sort vous attend. À la paix, n’ayant plus besoin de vous, n’ayant plus besoin de vos soldats, ils vous égorgeront. La crainte seule qu’ils ont de vous leur fera commettre ce crime. Méfiez-vous-en ; ils sont capables de tout.

Tout ce que je viens de vous écrire est dicté par un cœur qui aime les hommes, qui chérit la liberté.