Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 4.djvu/138

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Il avait subi bien des contrariétés dans son projet de se rendre immédiatement en France, pour exposer la situation dans laquelle il laissait son pays[1]. Rejoint par sa famille, qui partit de Jacmel peu de jours après lui, il s’était embarqué avec elle sur un vieux navire qui les portait en Europe. Le 7 brumaire an ix (29 octobre 1800), étant en pleine mer, une voie d’eau se déclara dans le navire. En vain les pompes agirent, le naufrage devint imminent : pas un autre bâtiment à la vue de tant d’infortunés ! Il fallut mettre à la mer l’unique chaloupe qu’avait le navire, et tous ne pouvaient y entrer sans la faire sombrer elle-même. Le sort dut désigner les élus ; il fut favorable à Bauvais, et contraire à son épouse : leurs enfans en bas âge étaient privilégiés, et c’était juste, dans une circonstance aussi douloureuse : leur âge, la faiblesse de leur sexe, le commandaient. Bauvais n’hésita pas un seul instant à se sacrifier pour sa vertueuse femme : il l’eût fait quand même ils n’auraient point eu des filles qui réclamaient l’assistance maternelle. Ce fut un moment pénible pour Madame Bauvais, si tendrement attachée à son mari ; elle dut céder à sa haute raison, à son autorité, au dévouement qu’elle devait à ses enfans. Mais, quelles angoisses pour ces deux cœurs intimement unis ! Si Bauvais voyait la mort sous ses pieds, était-il assuré que sa femme, que ses enfans y échapperaient dans cette frêle embarcation, au milieu des flots soulevés en pleine mer ? La Providence seule pouvait les secourir, les sauver ; et elle a placé l’Espérance dans le cœur de l’homme. Bauvais espéra ; il eut foi en la bonté divine ; elle accomplit son vœu ! Embras-

  1. Il fut capturé par les Anglais qui lui prirent son argenterie et tous ses effets. (Histoire d’Haïti, t. 2, p. 13 — Lettre de Bauvais à sa fille Coralie.)