Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 4.djvu/73

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À un autre point de vue, Rigaud remplissait encore un devoir politique.

Il est certain qu’il était, comme tous les hommes de sa classe, sincèrement attaché à la France, par cela que la métropole s’était montrée libérale, juste, envers tous les hommes de la race noire. Ce sentiment de dévouement raisonné, pour ainsi dire, s’opposait alors à ce qu’aucun d’eux ne conçût l’idée de l’indépendance de Saint-Domingue. Ils voyaient bien les tendances du Directoire exécutif ; mais ils pouvaient faire une différence entre ce gouvernement corrompu, et cette France dont la gloire était alors portée si haut par ses victoires : le bruit de ces victoires prodigieuses retentissait au cœur de ces hommes éclairés, presque tous militaires. Durant cinq années de lutte, toute la population noire avait également prouvé son attachement à la France, en combattant les Anglais.

Eh bien ! c’était après leur victoire, obtenue au prix de leur sang et de mille privations, qu’on voyait T. Louverture s’allier aux colons et aux émigrés qui avaient été dans les rangs ennemis, paraissant encore s’allier à ces ennemis qu’on venait de vaincre, traiter en secret avec le général Maitland, avec les États-Unis. N’y avait-il pas réellement à craindre, que le but de ces négociations secrètes était de proclamer l’indépendance de la colonie, sous le protectorat de la Grande-Bretagne et des États-Unis ? Sous un tel régime, y aurait-il eu garantie ni pour les anciens libres ni pour les nouveaux, alors que l’influence des colons et des émigrés était déjà puissante ? Ces deux États ne maintenaient-ils pas l’esclavage, l’un dans ses colonies, l’autre sur son territoire ? Quelle confiance pouvait inspirer T. Louverture qui avait été lié aux colons, aux émigrés, aux Espagnols, pour rétablir l’escla-