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Quoi qu’il en fut, il n’est pas étonnant que H. Christophe, qui se connaissait assez bien en despotisme et en tyrannie, ait dit à l’officier Lebrun que la proclamation consulaire respirait ces deux choses.

Toutefois, comme la flotte louvoyait encore à cause du vent contraire à son entrée dans le port, Christophe déclara à cet officier qu’il ne pouvait la rejoindre en ce moment, et qu’en attendant il resterait dans l’appartement où il se trouvait. Le traitant d’ailleurs avec sa magnificence ordinaire, il lui fit servir à souper sur de la vaisselle en argent. Seul à table, Lebrun était servi par quatre domestiques revêtus de livrée, qui observèrent le silence le plus parfait. Le palais de T. Louverture, au Cap et au Port-au-Prince, avait une tenue toute royale, qu’il relevait encore par sa dignité[1].

Voyant les dispositions militaires ordonnées par Christophe, la municipalité, le maire en tête, suivie de fonctionnaires publics et de citoyens, vint à minuit conjurer ce général d’épargner à la ville du Cap les désastres qui la menaçaient, s’il résistait à la flotte. Elle lui rappela les termes de la proclamation du gouverneur général, du 18 décembre ; elle lui rappela même sa propre conduite dans l’affaire de Moïse, où il avait donné des gages si sanglans de son dévouement aux intérêts des colons et de la métropole ; car Moïse avait été une victime immolée à ces intérêts. La triste fin de cet infortuné devait être invoquée, en effet, par des hommes qui y avaient tant contribué par

  1. Le président Boyer me dit un jour, qu’envoyé en mission par le général Laplume auprès de T. Louverture, au Port-au-Prince, le général en chef le retint à dîner, et qu’il fut frappé de la magnificence du palais et du service, en même temps que de la dignité des manières de ce chef et du grand sens de son esprit.