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On ne pouvait parler plus catégoriquement, pour nous servir d’un terme que Christophe employait souvent, et qui peignait bien son caractère, car il ne savait pas feindre. Lui et Clervaux donnèrent des conseils au général français, pour le moment où il retournerait à son commandement au Fort-Liberté, afin de ne pas tomber au pouvoir des insurgés répandus sur toute la route du Cap à cette ville : Christophe le fit même accompagner par plusieurs de ses guides, et bien lui en valut, car il fut attaqué pendant la nuit. On lui devait ce témoignage d’estime.

P. de Lacroix rapporte encore que dans ce même temps, la frégate la Cocarde arriva au Cap avec des noirs déportés de la Guadeloupe, et que plusieurs d’entre eux se jetèrent à la mer et allèrent augmenter la défiance de la population ; que des mulâtres, également déportés de la Guadeloupe à Santo-Domingo, y furent vendus publiquement[1]. Il ne garantit pas toutefois ce dernier fait, qui nous étonnerait de la part du général Kerverseau qui se montra toujours si libéral : néanmoins, la nouvelle en parvint au Cap alors que l’esprit des chefs noirs et mulâtres était en fermentation.

C’est ce qui expliquerait ces paroles prononcées par Clervaux, au dire de P. de Lacroix :

« La veille (de sa prise d’armes), étant chez Madame Leclerc, il s’était écrié, dans un accès d’emportement : — J’étais libre autrefois, je ne dois aux circonstances nouvelles que d’avoir relevé ma couleur avilie ; mais si je croyais qu’il fût jamais ici question d’esclavage, à l’instant même je me ferais brigand.  »

  1. La Cocarde avait à son bord 232 noirs et mulâtres ; 2,000 autres furent aussi déportés sur cinq frégates, dont le capitaine Lebozec avait le commandement supérieur. (Documens du ministère de la marine.)