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et allaient joindre les indigènes. Même avant l’investissement, des hommes, des familles entières fuyaient la ville, se plaçaient à la suite des convois allant à la Croix-des-Bouquets, sous prétexte de s’y rendre aussi, et gagnaient les bois pour aller au camp Frère.[1]

Il paraît néanmoins que dans ces circonstances, poussé à la fureur, Lavalette voulut tenter encore le désarmement de la garde nationale, et que la voyant bien résolue à se défendre, il lui adressa ces paroles : « Hommes de couleur et noirs, vous croyez sans doute que Saint-Domingue vous restera, vous vous trompez. Si la force des circonstances nous obligeait à l’évacuer, nous reviendrions avant six mois. La France est puissante ; la guerre maritime ne durera pas toujours ; elle n’abandonnera jamais sa colonie. »[2]

Nous aimons à constater cette vigueur de Lavalette ; elle plaît toujours dans un militaire. Mais il avait le tort de protester au nom de son pays, contre un décret providentiel. Les hommes, les peuples ne peuvent rien, quand Dieu a prononcé son arrêt ; car il sait accumuler événemens sur événemens ; il sait encore mieux éclairer les nations, pour les porter à être justes et favoriser ainsi l’accomplissement de ses grands desseins.

Quelle que fût son irritation, Lavalette dut songer enfin à prendre des arrangemens avec le général en chef des indigènes, pour l’évacuation de la place ; car après avoir fait décamper le poste de la Poudrière et canonné les forts, Pétion dirigea quelques-uns de ses projectiles sur

  1. À la fin de juillet, ma famille sortit ainsi et se rendit à ce camp. Mon père et d’autres parens devinrent des grenadiers de la 11e demi-brigade, et moi… un tout petit brigand.
  2. Histoire d’Haïti, t. 3, p. 72.