Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 6.djvu/223

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L’empereur quitta le Port-au-Prince, mécontent du général Pétion qui n’avait pas adhéré à ses désirs. De retour à Marchand, il ne tarda pas à apprendre ce que tout le monde savait dans l’Artibonite, au sujet de sa fille ; et ce fut pour lui une poignante douleur, une cause d’irritation bien juste contre son séducteur. À part sa haute position comme chef de l’Etat, sa qualité de père doit commander la sympathie de quiconque a des principes de moralité. Chancy avait eu tort d’abuser de la faiblesse de cette jeune personne qu’il aimait, et dont il était aimé, dit-on, depuis l’époque où son oncle gouvernait le pays. Il n’y avait qu’un moyen de réparer cet outrage fait au père et au chef : c’était que celui-ci les unît en mariage ; le neveu de Toussaint Louverture valait bien la fille de Dessalines ! Mais ce dernier était d’une nature trop violente pour concevoir une telle idée, surtout après le désappointement qu’il venait d’éprouver au Port-au-Prince. Le conseil lui en fut donné, notamment par Saget, homme de couleur, qui l’avait averti en 1802 du projet conçu par les Français de l’arrêter à la Petite-Rivière. Il le repoussa pour admettre celui que lui donna Mentor, dit-on en ces termes : « Sire, je ressens toute votre douleur ! Cet affront ne peut être lavé que dans le sang ; un mulâtre seul pouvait concevoir l’affreuse idée de jeter le déshonneur dans la famille de Votre Majesté. Jamais un de vos sujets noirs n’eût commis un tel crime ![1] »

Mentor était bien capable de tenir un tel langage ; et en cela, il aurait rempli le but de la mission qui le porta en Haïti. Quoiqu’il en ait été, un officier de l’état-major

  1. Hist. d’Haïti, t. 3, p. 249.