Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 6.djvu/324

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dans ie Sud, ayant toujours guidé ses frères dans la conquête de leurs droits, il ne peut se refuser à les guider de nouveau contre la tyrannie de Dessalines.

« Mais, vraiment, colonel Francisque, répartit Gérin, je ne puis concevoir que vous fassiez tous une telle entreprise sans en calculer les conséquences, et surtout, sans vous ressouvenir des malheurs de notre guerre civile avec Toussaint Louverture ! »

À ces mots, Madame Abel, qui partageait l’opinion commune que Geffrard, son frère, avait été empoisonné par ordre de l’empereur ; qui, dès lors, avait voué à celui-ci une haine implacable : Madame Abel, exaspérée, indignée du langage de Gérin, se lève de table dans une mâle et fière attitude ; et, l’apostrophant, lui lance ces paroles d’une héroïne : « Général Gérin, si vous ne vous sentez plus le courage de combattre avec vos frères, donnez moi votre habit, vos épaulettes et votre épée, je marcherai à votre place ! » O femme !…

Gérin succombe à ce reproche empreint de tant d’énergie : brave et téméraire comme il est, il se rappelle toute sa carrière révolutionnaire et militaire ; et, plein de feu, il s’écrie : « C’en est fait ! je me mets à votre tête, et je verrai si vous saurez tous vaincre ou mourir avec moi, dans la terrible résolution que nous prenons aujourd’hui ! »

Pouvait-il, en effet, se soustraire à la nécessité de diriger ses compagnons d’armes, ses frères, toute cette population du Sud menacée des rigueurs de la tyrannie, ce Gérin à côtes-de-fer[1] auquel ils faisaient un si glorieux

  1. Surnom que portait Gérin, à cause de sa ténacité à la guerre. — Dans son ouvrage intitulé Voyage dans le Nord d’Haïti, M. H. Dumesle cite l’in-