Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 6.djvu/448

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fait part de la mission dont vous l’avez chargé pour le Sud, et m’a communiqué, d’après vos ordres, les instructions dont il est porteur. Comme, par votre lettre, vous m’invitez à l’aider de mes conseils relativement à cette mission, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de lui faire connaître tout le mauvais effet que produirait dans ce moment sa présence dans cette partie : lui-même en est convenu et s’est décidé à vous faire part de nos réflexions, et d’attendre ici vos ordres.

D’après la confiance que vous me témoignez, je dois, mon général, vous dire la vérité, et je suis trop ami de mon pays pour ne pas vous éclairer sur une démarche qui pourrait en troubler le repos.

Le général Gérin est le premier qui s’est mis à la tête de la révolution qui nous a délivré de la tyrannie ; il n’a pas balancé à faire le sacrifice de sa famille, exposée à la férocité de Dessalines, pour défendre la cause du peuple. Ce général, depuis le commencement de la révolution (en 1791) n’a cessé de combattre pour la liberté dont on pourrait dire qu’il est le martyr ; dans ce moment même, il se donne tous les mouvemens possibles pour maintenir l’ordre et la tranquillité. En voyant arriver le général Dartiguenave, chargé d’une mission particulière et revêtu du pouvoir de conférer des commandemens, il regardera nécessairement cette démarche comme une marque certaine du peu de confiance que vous avez en lui, et comme un dessein formé d’avilir son autorité aux yeux de ces mêmes hommes qui se sont volontairement rangés sous son commandement. Les officiers qui ont concouru avec ce général au renversement du tyran, croiraient voir un désaveu de leur conduite, et la crainte des suites pourrait les réduire au désespoir. Il est de mon devoir de ne pas vous laisser ignorer que l’effervescence n’est pas encore tout-à-fait apaisée dans cette partie ; tous les esprits sont tendus vers la constitution ; c’est le baume qui seul peut guérir toutes les plaies que l’inquiétude fait naître. N’est-il pas prudent, mon général, que nous attendions ce moment si désiré ? Je vous prie de réfléchir vous-même sur les conséquences qui pourraient en dériver. Si une démarche, quoique innocente, était susceptible d’interprétation, le moindre des résultats serait de faire perdre au gouverne-

    général Christophe, je puis me considérer comme le conservateur de ses jours. » — Extrait de l’écrit publié par Pétion, le 17 janvier 1807.