Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 6.djvu/551

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Parmi ses contemporains, ses collaborateurs dans l’œuvre républicaine, même ses meilleurs amis, peu le comprirent au début de cette carrière glorieuse dans laquelle il entrait. Mais lorsque le temps fut arrivé pour faire triompher sa pensée politique, alors qu’il dormait déjà dans sa tombe vénérée, ils reconnurent la profondeur de ce génie qu’anima la bienfaisance ; ils lui rendirent justice.

Excusons-les, excusons surtout ce brave et infortuné Gérin, qu’une déplorable fatalité entraîna dans l’abîme[1].

  1. À son retour du Cap, à la fin de 1820, le général Borgella me dit : « Quand nous blâmions Pétion de ne pas vouloir faire une guerre continue à Christophe, nous ne comprenions ni sa sagesse ni l’esprit de l’Artibonite et du Nord. Aujourd’hui, après avoir parcouru ces deux départemens, et vu les forces dont ils disposent et qui sont désormais ralliées à la République, je rends justice à sa mémoire. Pétion voyait mieux qu’aucun de nous, et nous pouvons dire qu’il fut un grand politique. »

    Et que ne pensa pas Borgella, quand, une année après, il allait concourir à effectuer l’unité territoriale à Santo-Domingo !

    À côté du jugement porté par ce général, mettons les appréciations de Charles Mackensie, consul général de la Grande-Bretagne, envoyé en 1826 à Haïti, principalement pour recueillir des renseignemens sur ses progrès et les conséquences de l’abolition de l’esclavage dans ce-pays.

    « Le grand objet de la vie de Pétion, dit-il, paraît avoir été la consolidation de la République et le renversement de l’autorité rivale du Nord. Les matériaux avec lesquels il a opéré, rendirent excessivement difficile l’accomplissement de sa tâche. Il était le chef d’une caste très petite en nombre, conséquemment il n’osait pas agir avec la vigueur de son opposant. Il fallait s’attacher les noirs, et pour accomplir cet important succès, il était réduit à des mesures de temporisation : la nécessité paraît l’avoir forcé à adopter un système d’opposition à celui de Christophe… »

    Voilà un spécimen de tous les jugemens portés par les étrangers sur le gouvernement politique de Pétion, et que des Haïtiens ont aveuglément adoptés. Toujours ce détestable système colonial égarant les esprits les plus éclairés !

    Il est à présumer que, si Pétion eût été un blanc, ces étrangers n’auraient vu dans sa politique que des actes de haute intelligence, de générosité ; — un noir, des actes de justice envers ses semblables. Mais, comme il était un mulâtre, il n’y eut de sa part qu’un calcul basé sur le chiffre inférieur de sa caste !

    Les noirs n’étaient donc pas ses concitoyens, ses frères ! Il n’était donc pas tenu par devoir, de faire ce qui pouvait les rendre heureux ! Mulâtre, il ne pouvait donc pas être intelligent, généreux, juste, bienveillant envers tous les