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cepta la mitre pour venir remplir à Haïti la mission politique où il a échoué.

En envoyant en cadeau des livres achetés à ses frais pour commencer l’établissement d’une bibliothèque, Grégoire prouvait encore qu’il ne donnait pas des conseils stériles à ce sujet ; et l’on va voir à quel point il poussait sa délicatesse. En même temps qu’il avait conçu l’idée de cet envoi, Boyer avait eu une pensée analogue : c’était de lui faire un don au nom de la nation. Le Président lui fit expédier par uni navire français, une quantité de café de choix qui n’était pas moindre de 25 mille livres, en lui écrivant qu’il le priait d’accepter cette denrée pour son usage, présumant qu’il aimerait à boire du café cultivé et récolté par les mains d’hommes libres, reconnaissans envers lui qui avait tant aidé à leur émancipation civile et politique. Mais, le 24 août, quatre jours après sa précédente lettre, Grégoire lui écrivit celle qui suit :

« Monsieur le Président, — Sans doute, vous avez pensé que, vieillard et homme de cabinet, l’usage du café entrait dans le régime le plus convenable à mon âge et à mes travaux : l’envoi que vous me faites est inspiré par une bienveillance délicate. Je suis tenté 1o de donner à cet acte la plus grande publicité, afin de fournir aux courtisans, aux colons possesseurs d’esclaves, aux négriers, etc., un nouveau prétexte pour élever sur cette annonce un nouvel échaffaudage de calomnies et d’injures, ou du moins pour accuser de sensualité un des hommes les plus restreints dans ses goûts diététiques ; 2o je suis tenté de ne pas vous remercier, afin que l’ingratitude apparente ajoute au mérite du présent. D’ailleurs, chez moi, l’émotion du cœur émousse l’esprit ; les expressions m’échappent quand il s’agit de remercîmens. Dans toute ma vie, j’ai soigneusement écarté ce qui pouvait me constituer dans le cas d’en faire. On a quelquefois taxé de fierté déplacée, cette conduite qui, cependant, n’est qu’une suite de mon amour pour l’indépendance.