Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 3.djvu/323

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bien le contraire ; mais pour justifier ces atroces complots, il le répète sans cesse. Le gouvernement français feint de le croire ou le croit réellement ; il vous a mis hors la loi, et Sonthonax, avide de tout ce qui peut contribuer à faire couler un sang qui n’eut d’autre tort que celui de l’avoir trop écouté, a déjà sonné le tocsin de la mort sur la tête de ce qu’il appelle aujourd’hui les mulâtres.

De grands préparatifs sont faits contre vous : le nègre Toussaint, aidé des blancs qui ont eu la lâcheté de se ranger sous sa bannière, emploie la vigilance la plus active pour s’ouvrir une communication dans le Sud, Nous le gênons à la vérité ; il faudrait pour cela nous forcer ; eh ! la chose n’est pas aisée. Je ne crois pas, quoi que m’en aient dit quelques-uns de ses partisans que j’ai été à même devoir ces jours derniers, que son projet soit de vous attaquer à force ouverte. Cet esclave est trop lâche pour l’entreprendre ; mais je suppose qu’il compte sur l’influence que lui donne sa couleur et le rôle qu’on lui fait jouer, sur les noirs, pour capter ceux de votre province. Alors vous vous verriez réduit à périr de la main de ses satellites, devenus plus féroces à l’instigation des bourreaux qui arment leurs bras contre vous.

Vous connaissez sans doute la proclamation de Sonthonax par rapport à vous ; vous aurez sans doute remarqué avec quelle barbare adresse il rappelle l’affaire des nègres de la Croix-des-Bouquets, connus sous la dénomination de suisses, embarqués par Caradeux pour la baie des Mosquitos.

Attendrez-vous que ce monstre consomme ses forfaits ? Attendrez-vous qu’il porte les derniers coups à la population libre ?… et que par son machiavélisme il soit parvenu à faire de cette île superbe une nouvelle Guinée ? La faction dont il est l’agent n’eut jamais d’autre but ; et, quoique ce terrible système soit changé en France, le cruel n’a pas renoncé à ses projets. Ouvrez, je vous en conjure, les yeux, promenez vos regards dans l’avenir ; et recourant à cette énergie qui vous a fait surmonter tant d’obstacles, prenez un parti qui vous sauve et ceux que la fortune lie à votre sort, d’un massacre et d’une proscription semblable à celle qu’il exerça contre les blancs, lors de son premier voyage dans cette colonie.

Nous touchons peut-être au moment où une paix générale rendue à l’Europe réglera les destinées de Saint-Domingue. Ne serait-il pas flatteur pour vous d’avoir préservé les restes infortunés des hommes et des propriétés des lieux où vous commandez, de la fureur dévastatrice des brigands qui ne connaissent que l’anarchie ? Croyez que, quelle que