Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 4.djvu/308

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la faculté de sortir de la colonie ou d’y rester, suivant leur éloigneraient ou leur attachement pour le régime républicain ; mais elles n’auraient pu, sans vouloir l’anéantissement de ce pays, permettre l’enlèvement des hommes consacrés aux travaux de la culture. Cependant, depuis l’époque où cette cession fut arrêtée entre les deux puissances, non-seulement il est sorti de ce pays une infinité de familles espagnoles ; mais ce qui est contraire au véritable esprit du traité, elles ont amené avec elles leurs esclaves qui, pour la plupart, étaient des noirs volés dans la partie française et vendus dans celle-ci, ou qui s’y sont trouvés transplantés par les effets de la guerre. Cette désertion et ces enlèvemens se sont continués jusqu’à ce jour, de telle sorte qu’on peut dire qu’ils sont la cause première de la prise de possession que je viens d’opérer au nom de la République française ; et ils se sont principalement multipliés alors que j’eus l’honneur de vous faire connaître, Monsieur le Président, mon inébranlable résolution de faire cesser ces abus et autres semblables, par la prise de possession que je vous ai demandée de ce pays.

J’ai une trop haute idée de la justice qui caractérise S. M. C., pour croire que son intention soit de dépeupler ce pays en l’abandonnant à son alliée, et surtout de détruire la source de sa prospérité en enlevant à la culture les bras qui lui étaient consacrés. La République française ne verra pas sans peine qu’on lui ait enlevé sous votre autorité plus de 3000 cultivateurs que je suis instruit qu’on a déjà fait passer en d’autres pays espagnols. L’habitation Aristisabal offre un exemple frappant du tort que ces enlèvemens font à ce pays ; les noirs qui la cultivaient ont été embarqués sous vos yeux, et l’habitation la plus belle de la partie espagnole va tomber en ruine et retourner en friche ; il en est une infinité d’autres qui sont dans le même cas et dans un tei état d’abandon, qu’il fait frémir.

Je vous prie donc, Monsieur le Président, de donner des ordres précis pour que ces enlèvemens ne continuent plus. Je suis instruit que le trois-mâts qui est en ce moment mouillé en ce port et qui est sur le point de partir, a une infinité de noirs à bord qui y ont été embarqués de force, lesquels, bien loin de tourner à l’avantage des particuliers qui les amènent, deviendront la proie des anglais[1] ; ils seront alors perdus pour la France, car dans les échanges respectifs (de prisonniers) qui se font entre les nations, les esclaves n’y sont point

  1. Des navires de guerre anglais croisaient alors sur les côtes de Santo-Domingo.