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les yeux, pour apprécier la clémence d’un chef dans de telles circonstances, quelle qu’en soit la cause[1]. »

Si l’auteur que nous citons n’a pas été lui-même dans une semblable position, nous craignons qu’il n’ait pu apprécier avec justesse le sentiment que durent éprouver ces infortunés.

La clémence s’exerce envers des coupables, et non envers des hommes que la tyrannie se plaît à considérer comme tels. À moins d’être sans énergie, sans dignité, sans honneur, on accepte ce qui n’est qu’un retour à la justice de la part du tyran, comme on s’était résigné à sa violence, en espérant sa punition de l’Être Tout-Puissant qui décide de tout.

Il ne faut pas induire en erreur les chefs qui voudraient abuser de leur force, et encore plus de l’autorité dont ils ne sont revêtus que pour être justes, en leur faisant penser qu’il puisse jamais exister de la sincérité de la part de l’opprimé envers l’oppresseur. L’opprimé supporte tout ; mais au fond du cœur, il conserve à l’oppresseur toute la rancune, toute la haine qu’il a méritée[2].

Il faut dire sans cesse, qu’il y a une histoire qui recueille les actes des tyrans, — une postérité qui les juge en flétrissant leur mémoire, — et un Dieu dans le ciel qui les fait périr dans un cachot, quand il ne dispose pas autrement de leur vie souillée de crimes.

Que ceux qui aiment mieux tyranniser que gouverner,

  1. Histoire d’Haïti, t. 2, p. 98.
  2. « Les troupes du Sud, composées des citoyens de ce département, nourrissaient contre le gouverneur une haine implacable qui éclatera avec fureur, aussitôt après l’arrivée à Saint-Domingue de l’expédition de Leclerc. » Histoire d’Haïti, t. 2, p. 110.

    Voilà le sentiment de tout opprimé ! Après deux siècles d’injustices inouies, les mulâtres et les noirs l’ont prouvé à Saint-Domingue.