Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/122

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ravageait ma patrie, pouvait à peine balancer dans mon cœur le plaisir que j’avais d’être hors de tutelle[1].

La contagion étant finie en Provence, mon père souhaita de me voir. Je me rendis de Strasbourg à Aix ; lorsque j’arrivai chez moi, mes parens furent charmés de voir combien je m’étais formé ; je n’avais plus l’air du collége, deux ans de garnison m’avaient donné les manières d’un petit-maitre ; j’avois le cœur tendre, mais je ne m’en étais encore aperçu que vaguement. J’aimais généralement tout ce qu’on appelle femmes, et ne me croyais point susceptible d’une passion durable ; j’éprouvai bientôt le contraire ; je devins sensible

  1. La peste, dont parle le marquis d’Argens, est celle de Marseille qui arriva, en 1720, par la négligence des officiers ou conservateurs de la santé. Elle se répandit dans toute la Provence et y causa des ravages affreux ; la mortalité fit des progrés rapides : quoique Marseille ait été vingt fois, depuis Jules César, attaquée de la peste, jamais elle n’eut d’effets aussi terribles que cette année. Ajoutez que c’était l’époque où la culbute de Lass avait jeté le désordre dans l’admmistration, et que l’on ne put faire passer que trop tard les secours nécessaires à Marseille. La contagion cessa au mois du juin 1721 ; elle durait depuis celui d’octobre précèdent.