Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toutes les passions s’étaient donné rendez-vous dans mon cœur. L’amour, la crainte, la timidité, la honte, l’espérance, occupaient mon âme à-la-fois : je ne distinguais ni ce que je voulais, ni ce que je souhaitais. Dans cette agitation, je me trouvai dans sa chambre, sans savoir comment j’étais venu. L’état où je vis ma belle maîtresse ne fit qu’augmenter mon trouble. Elle était dans un fauteuil, appuyée sur une main, dans laquelle elle avait un mouchoir qui servait à essuyer des larmes qui coulaient des deux plus beaux yeux que l’amour eût jamais animés. Vous voyez, me dit-elle, ce que je fais pour vous : ma mère dort dans la chambre voisine ; songez où vous me réduiriez, si elle venait à savoir quelle est ma conduite.

Je n’avais pu, pendant que Sylvie me parlait, faire aucun usage de ma raison. Je lui embrassais seulement les genoux. « Otez-vous, me dit-elle, et écoutez-moi. Quel plaisir prenez-vous à me tourmenter ? Vous savez combien j’ai résisté au penchant qui m’entraînait vers vous. Ingrat, pourquoi m’avez-vous amenée au point de ne pouvoir me guérir d’un amour que vous ne m’avez donné que pour me rendre malheureuse ? »