Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/168

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son compte, j’eus la faiblesse de faire la même faute qu’elle avait faite auprès de madame de Pedrajas : en un mot, je lui avouai qu’elle était comédienne. D’abord il en parut surpris ; mais, se contraignant ensuite, il me dit que l’amour égalait tous les états, et que pour lui il n’en serait pas moins porté à me faire plaisir. Je lui sus bon gré de ses offres, et je me livrai à lui dès ce moment. Dieu ! qu’il m’en a coûté cher, et que j’ai bien payé ma crédulité !

Il me pria pour le lendemain à dîner. Je ne pus le lui promettre, parce que j’allais régulièrement depuis une heure jusqu’à cinq chez Sylvie. Il me proposa de venir prendre du café sur les trois heures ; je crus que je ne pouvais sans impolitesse le lui refuser. Le lendemain donc je quittai Sylvie, deux heures plutôt qu’à mon ordinaire ; elle me demanda où j’allais. Je ne sais, me dit-elle, mais je sens un mouvement dont je ne suis pas la maîtresse ; j’ai un pressentiment que je ne vous verrai plus. Je traitai ce qu’elle me disait de faiblesse ; en effet je n’y voyais aucune apparence. Je me rendis chez Vaumale, qui m’attendait. Nous prîmes du café ; il affecta de ne me parler de rien. Comme j’allais sortir, il me dit : Où passez-vous vos avant-soupers ordinairement ?