Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/217

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des cabarets, Clairac parlait à une fille fort jolie, qui paraissait plongée dans la tristesse[1].

Cet homme ne m’ayant pas su dire ce que je lui demandais, je rejoignis Clairac, qui me dit en italien, qui est le langage des îles, mêlé de quelque peu de français et de vieux grec : Vous qui êtes médecin, n’auriez-vous point de remède pour cette belle malade ? Il faudrait, répondis-je, que son mal fût bien opiniâtre, si je n’en venais à bout. Je lui pris gravement la main, lui tâtai le pouls, et lui ordonnai de prendre du lait tous les matins.

Monsieur, me dit une fille qui était avec elle, tous les remèdes du monde ne sauraient la guérir. Eh quel mal a-t-elle donc, lui répliquai-je  ? Elle a perdu son mari, me répondit-elle ; depuis deux jours il a épousé une autre fille à Mételin[2]. Dans toutes ces îles, qui

  1. La plupart des îles de l’Archipel ont appartenu aux Vénitiens et aux Génois, avant que Mahomet II, Empereur des Turcs, ne s’emparât de Constantinople en 1453, et ensuite des îles de la Méditerranée ; ainsi ce n’est pas une chose étonnante que le mauvais grec qu’on y parle soit mélangé de mots italiens, en assez grand nombre.
  2. Mételin est une autre île de l’Archipel célèbre par la grande quantité d’huiles que l’on en retire. Milo est également une île de la même mer.