Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/323

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aimez, parlez et n’écrivez jamais. De tout autre que de Clairac je n’aurais point écouté de pareils discours : venant de lui, j’y réfléchissais malgré moi.

Ma maîtresse me paraissait tous les jours plus aimable ; je badinais, je folâtrais avec elle, mais c’était tout ; nous étions heureux, lorsqu’en jouant à quadrille, nous avions pu nous serrer le pied ou nous dire un mot à l’oreille ; j’étais accoutumé à quelque chose de plus réel : je m’en plaignis, on se fâcha, je ne me rebutai point, je boudai, je parus triste ; enfin je fis si bien, que je vis que j’aurais tout ce que je voudrais, si je voulais manquer aux leçons de Clairac : le pas était glissant. Comme un amant, on me donnait le cœur ; comme un homme qui promettait de devenir époux, on m’offrait le reste ; je pris un milieu. Mon ami m’avait dit de ne point écrire, mais il ne m’avait pas défendu de faire pressentir que j’écrirais ; je promis donc tout ce qu’on voulut, et je pris l’Amour pour témoin de mes sermens : j’en fis tant qu’on voulut, et on les crut assez sincères pour s’y fier entièrement.

Le premier moment où je vis ma maîtresse seule fut dans un salon à côté de celui, où