Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/382

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Le père d’Antonio avait été oblige de faire banqueroute pour la perte d’un navire. Il était réduit dans l’état le plus pitoyable. L’amoureuse Angelina ne put savoir la situation du père de son amant, sans y être sensible ; elle lui fit remettre quarante pistoles à Livourne, où il avait été obligé de se sauver, sans qu’il pût connaître la main charitable d’où lui venait ce bienfait.

Elle n’oubliait pas, cependant de travailler aux moyens de tirer son amant d’esclavage ; elle épargnait le plus qu’il lui était possible, et amassait ainsi de l’argent pour sa rançon. L’occasion lui eût procuré le moyen d’abréger tant de soins, si elle avait pensé comme nos comédiennes francaises. Le marquis Massimiani, gentilhomme romain, vit Angelina à l’opéra de Gênes ; il en devint éperdument amoureux, et fit tout ce qu’il put pour s’en faire aimer, mais inutilement. L’idée d’Antonio était trop parfaitement gravée dans son cœur, pour que rien pût l’en effacer : il lui offrit mille pistoles pour le prix des dernières faveurs ; c’était la rançon de son amant : le pas était glissant. Elle crut qu’elle serait indigne de lui, si elle lui procurait la liberté par un moyen aussi honteux. Elle refusa généreuse-