Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/71

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reconnaître, car je ne l’avais jamais vu qu’avec ses deux robes de chambre et ses deux bonnets de nuit. C’était une chose plaisante de le voir avec son uniforme brodé et sa perruque ronde à petite queue ; le froid et l’impatience l’avaient mis de mauvaise humeur, et il déclamait contre le roi avec la plus grande vivacité. « N’avoir pas suivi mes conseils, disait-il, après tout ce que je lui ai dit, cela est indigne ! Je lui ai écrit qu’il était obligé de recevoir de son peuple les témoignages de sa joie et de son attachement ; cela est impardonnable de ne pas venir ! Dès que je le verrai, je lui dirai bien son fait. » Il fut impossible de l’appaiser ; enfin au bout d’une heure, ne pouvant plus supporter le froid, il consentit à rentrer dans la ville, et il continua de gronder pendant tout le chemin, jusqu’au château où il se rendit pour attendre avec la cour. Le roi arriva à près de huit heures du soir. Après son dîné il était allé voir le champ de bataille de Kunnersdorff, près de Francfort sur l’Oder, où ses troupes avaient été battues, en 1759, par le général Laudon, autrichien, et le général russe Soltikoff ; ce qui ne devait pas lui avoir inspiré des idées bien gaies : il avait cru que le marquis avait fait savoir sa volonté aux habitans de