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Thérèse

Trois ſemaines s’écoulerent, pour ainſi dire, ſans que nous nous quitaſſions, & ſans que j’euſſe l’eſprit de m’appercevoir que vous employez ce temps à connoître ſi j’étois digne de vous. En effet, ennivrée du plaiſir de vous voir, mon ame n’appercevoit aucun autre ſentiment dans moi ; & quoique je n’euſſe d’autre déſir que celui de vous poſſéder toute ma vie, il ne me vint jamais dans l’idée de former un projet ſuivi, pour m’aſſurer ce bonheur.

Cependant la modeſtie de vos expreſſions, & la ſageſſe de vos procédés avec moi, ne laiſſoient pas de m’allarmer. S’il m’aimoit, diſois-je, il auroit auprès de moi les airs de vivacité que je vois à tels & tels qui m’aſſurent qu’ils ont pour moi l’amour le plus vif. Cela m’inquiétoit. J’ignorois alors que les gens ſenſés aiment avec des procédés ſenſés, & que les étourdis ſont des étourdis partout.

Enfin, cher Comte, au bout d’un mois, vous me dites un jour aſſez laconiquement, que ma ſituation vous avoit inquiété dès le