Page:Aristote - La Politique.djvu/158

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question, quoiqu’elle ne tranche pas encore toutes les difficultés. On peut admettre en effet que la majorité, dont chaque membre pris à part n’est pas un homme remarquable, est cependant au-dessus des hommes supérieurs, sinon individuellement, du moins en masse, comme un repas à frais communs est plus splendide que le repas dont une personne seule fait la dépense. Dans cette multitude, chaque individu a sa part de vertu, de sagesse ; et tous en se rassemblant forment, on peut dire, un seul homme ayant des mains, des pieds, des sens innombrables, un moral et une intelligence en proportion. Ainsi, la foule porte des jugements exquis sur les œuvres de musique, de poésie ; celui-ci juge un point, celui-là un autre, et l’assemblée entière juge l’ensemble de l’ouvrage.

§ 5. L’homme distingué, pris individuellement, diffère de la foule, comme la beauté, dit-on, diffère de la laideur, comme un bon tableau que l’art produit diffère de la réalité, par l’assemblage en un seul corps de beaux traits épars ailleurs ; ce qui n’empêche pas que, si l’on analyse les choses, on ne puisse’trouver mieux encore que le tableau, et que tel homme puisse avoir les yeux plus beaux, tel l’emporter par toute autre partie du corps. Je n’affirmerai pas que ce soit là, dans toute multitude, dans toute grande réunion, la différence constante de la majorité au petit nombre des hommes