Page:Aristote - La Politique.djvu/249

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§ 19. On a surtout besoin de justice et de prudence, quand on est au faîte de la prospérité et qu’on jouit de tout ce qui fait l’envie des autres hommes. Il en est comme des sages que les poètes nous représentent dans les îles Fortunées : plus leur béatitude est complète, au milieu de tous les biens dont ils sont comblés, plus ils doivent appeler à leur aide la philosophie, la modération et la justice. Ces vertus évidemment ne sont pas moins nécessaires au bonheur et à la vertu de l’État. S’il est honteux de ne point savoir user de la fortune, il l’est surtout de ne pas savoir en user au sein du loisir, et de développer son courage et sa vertu durant les combats, pour montrer une bassesse d’esclave pendant la paix et le repos.

§ 20. Il ne faut pas entendre la vertu comme l’entendait Lacédémone ; ce n’est pas qu’elle ait compris le bien suprême autrement que chacun ne le comprend ; mais elle a cru qu’on pouvait surtout l’acquérir par une vertu spéciale, la vertu guerrière. Or, comme il existe des biens supérieurs à ceux que procure la guerre, il est évident aussi que la jouissance de ces biens-là est préférable, sans avoir d’autre objet qu’elle-même, à celle des seconds.

§ 21. Voyons par quelles voies on pourra gagner ces biens inappréciables. Nous avons déjà dit que les influences qui s’exercent sur l’âme sont de trois sortes, la nature, les mœurs et la raison. Nous avons aussi précisé les qualités que les citoyens doivent préalablement recevoir de la nature.