Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/348

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dans le motif qui la détermine : mais, une fois que le jugement sera altéré par des sentiments de plaisir ou de peine, le principe ne se manifestera pas immédiatement ; on ne verra pas que ces sentiments ne doivent pas toujours être le motif de nos actions et de toutes nos préférences ; car souvent le vice corrompt et dénature le principe [qui nous fait agir].

Il suit nécessairement de là que la prudence est une véritable habitude de contemplation, dirigée par la raison, dans les biens propres à la nature humaine. Au reste, dans les arts, on peut être habile ou inhabile ; mais cette distinction n’a pas lieu pour la prudence : une faute volontaire, dans les arts, est préférable à une faute involontaire ; elle ne l’est pas en fait de prudence, ni en fait de vertus[1]. Il est donc évident que la prudence est une faculté, et non pas un art. Or, comme il y a deux parties de l’âme qui possèdent la raison, cette faculté peut appartenir à l’une d’elles, c’est-à-dire, à celle qui a l’opinion ou le jugement en partage ; car l’opinion, comme la prudence, est relative à

  1. La même pensée, à peu près, se trouve dans Xénophon [Memorab. Socrat. l. 4, c. 20, § 12), et Sénèque (Epist. 15) lui donne, suivant sa manière accoutumée, plus de développement et d’étendue : Vis scire, dit-il, quam dissimilis sit aliarum artium conditio, et hujus ? in illis excusatius est voluntate peccare, quam casu : in hac maxime culpa est sponte delinquere. Quod dico, tale est. Grammaticus non erubescit si soloecismum sciens fecit, erubescit si nesciens. At in hac arte vivendi, turpior volentium culpa.