Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/485

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rite, ce n’est plus amitié, c’est une véritable charge comme celle qu’on impose aux citoyens pour les besoins de l’état[1]. C’est pourquoi l’on croit communément qu’il doit en être de l’amitié comme d’une société de commerce, où ceux qui ont fourni le plus de fonds, ont une part plus considérable dans les bénéfices. Mais l’opinion de l’homme qui est dans le besoin, et qui a moins de mérite, est fort différente : il croit, au contraire, que le devoir d’un ami vertueux est de venir au secours de ses amis dans l’indigence ; car, à quoi bon, dit-il, être l’ami d’un homme vertueux ou puissant, si l’on n’en doit retirer aucun avantage ? Tous deux néanmoins peuvent avoir raison, à certains égards, en prétendant tirer chacun des avantages réels de l’amitié : mais ce ne seront pas des avantages du même genre ; celui qui a la supériorité [du rang et de la fortune] doit y trouver plus d’honneur ; et celui qui est dans l’indigence, plus de profit. Car l’honneur est la récompense de la bienfaisance et de la vertu, le gain est la ressource de l’indigence.

Il semble, en effet, que c’est ainsi que les choses

  1. Dans un passage de la Morale à Eudémus, qui correspond à celui-ci, l’auteur dit pareillement : « De cette manière, celui qui a la supériorité semblerait perdre de ses avantages, et l’amitié ou la société entre deux personnes deviendrait [pour le premier] une fonction à titre onéreux (λειτουργία). Il faut donc établir la proportion convenable, en lui accordant quelque chose en compensation ; et ce sera [par exemple] l’honneur. » Voyez Eudem. l. 7, c. 10.