Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/511

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l’intérêt général, voilà l’objet commun de leurs désirs. Au lieu qu’il n’est pas possible que les méchants soient unis de sentiments, du moins pour long-temps. Ainsi, il ne saurait y avoir amitié entre des hommes ambitieux et avides de tous les emplois lucratifs, et toujours prêts à se refuser à ceux qui exposent à des fatigues, ou qui obligent à de grandes dépenses. Dans l’empressement où est chacun d’obtenir ce qui lui est avantageux, il épie son concurrent, et cherche à lui susciter des obstacles. L’intérêt général, dont personne ne s’occupe, est ainsi sacrifié ; et il en résulte des dissensions continuelles, parce que chacun veut forcer les autres à observer la justice, et ne saurait se résoudre à l’observer lui-même.

VII. Il semble que les bienfaiteurs ont plus d’affection pour ceux qu’ils ont obligés, que ceux-ci n’en ont pour les auteurs des bienfaits qu’ils ont reçus ; et comme ce fait paraît étrange [et, pour ainsi dire, contre nature], on en cherche la cause. La plupart donc s’imaginent que cela vient de ce que les uns sont, en quelque sorte, des débiteurs, tandis que les autres sont comme des créanciers. Or, de même que, dans le cas des dettes contractées, les débiteurs souhaiteraient que leurs créanciers n’existassent point, au lieu que ceux qui ont prêté s’intéressent à la conservation de leurs débiteurs ; ainsi [dit-on] ceux qui ont rendu à d’autres d’importants services, désirent la conservation de leurs obligés, comme pouvant un jour leur en témoigner de la reconnaissance ; tandis que ceux-ci