Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/513

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les poètes que cela se remarque plus particulièrement ; car ils ont communément pour leurs poèmes la tendresse passionnée qu’un père a pour ses enfants[1]. Or, c’est à peu près là le cas des bienfaiteurs ; car l’obligé est, pour ainsi dire, leur ouvrage, et ils le chérissent plus que l’ouvrage ne chérit celui à qui il doit l’existence.

La cause de cela, c’est que l’existence est ce qu’on aime, ce qu’on préfère à tout : or, nous existons surtout par l’exercice de notre activité, c’est-à-dire, par la vie et par l’action. Celui qui a produit une œuvre existe donc, en quelque manière, par l’exercice de son activité : aussi aime-t-il son ouvrage par la même raison qui lui fait aimer l’existence. C’est là l’impulsion de la nature : car ce qui existe en puissance, l’œuvre le manifeste, ou l’exprime, par le développement de l’activité.

Il y a encore dans l’action du bienfaiteur quelque chose d’honorable, en sorte qu’il se plaît dans ce qui lui procure ce sentiment, tandis qu’il n’y a, dans l’auteur du bienfait, rien d’honorable aux yeux de celui qui l’a reçu ; il n’y voit que son avantage, qui est une chose moins agréable et moins digne d’amour. D’ailleurs, on trouve un certain charme à exercer actuellement son activité ; on en trouve même dans l’espoir de l’exercer à l’avenir, et le souvenir des actions passées a aussi quelque chose de doux ;

  1. C’est la même pensée que l’auteur a déjà exprimée ailleurs. Voy. l. 4, c. 1, note 7.