Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/579

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rendre vertueux, si l’on parvient à posséder quelque vertu.

On croit qu’il y a des hommes qui sont naturellement vertueux, que d’autres le deviennent par habitude, et d’autres par l’effet de l’instruction : mais il est évident qu’il ne dépend pas de nous de l’être par nature, et que c’est un privilége que des hommes véritablement favorisés de la fortune tiennent de quelque cause divine. Quant à la raison et à l’instruction, on peut craindre qu’elles n’aient pas la même force ou la même influence sur tous les hommes, et peut-être faut-il que l’âme dé celui qui doit recevoir leurs préceptes, comme une terre destinée à nourrir la semence qu’on lui confie[1], ait été formée d’avance, par de bonnes habitudes, à concevoir des sentiments d’amour ou d’aversion conformes à la vertu,

En effet, celui qui est soumis à l’empire des passions ne peut guère entendre ni comprendre les raisons destinées à l’en détourner ; et, dans cet état, comment le faire changer de sentiments ? Car, en général, la passion est plutôt disposée à céder à la force qu’à la raison. Il faut donc d’abord que l’on ait des mœurs appropriées, en quelque sorte, à la vertu, qu’on ait de l’amour pour ce qui est honnête, de l’aversion pour ce qui est honteux et

  1. Comparaison employée aussi, et plus développée dans un petit écrit intitulé Loi d’Hippocrate, § 3, p. 124 de l’édition et de la traduction donnée par Mr Coray, en 1816, en un vol, in-8o publié aux frais des habitants de Scio.