Page:Armaingaud - La Boétie, Montaigne et le Contr’un - Réponse à R. Dezeimeris.djvu/11

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M. Dezeimeris cite aussi comme caractérisant par des détails précis le misérable état du peuple sous Charles VI, et comme un touchant écho de ses doléances, quelques vers d’une Complainte du pauvre commun et pauvres laboureurs, qu’il extrait de la Chronique de Monstrelet (p. 525 et suiv. de l’édition Buchon). Cela est sans doute fort intéressant, mais nous n’arrivons pas à comprendre quel rapport a cette citation avec la discussion actuelle. M. Dezeimeris, avec son flair d’érudit, ajustement apprécié que cette complainte ne fait pas partie de l’œuvre de Monstrelet ; et, en effet, dans l’édition de cette Chronique qu’a publiée la Société de l’histoire de France, la complainte n’est plus imprimée dans le corps du livre, mais en appendice dans les pièces additionnelles au dernier volume. De quelle époque est-elle ? On n’en sait rien. Il plaît à M. Dezeimeris de la dater du règne de Charles VI. Mais Michelet la place au règne de Charles VII, en 1438 (à la dernière page de son volume sur Jeanne d’Arc). Fût-elle du règne de Charles VI, que nous apprendrait-elle ? Que le peuple souffrit sous le despotisme des oncles de ce malheureux roi ? Qui en doute ? Et quel argument tirer de là pour établir que c’est aux souffrances du peuple d’alors que fait allusion le Contr’un ?


III. Les traits du tyran décrit dans le Contr’un
sont-ils ceux de Charles
VI ?


L’auteur du Contr’un a fixé la physionomie de son tyran dans le portrait que voici (copié, avec l’orthographe du temps, dans le texte primitif[1]) :

« Quel malheur est cestuy-là ? Ou quel vice, ou plustôt quel malheureux vice ? Voir un nombre infini, non pas obéyr mais servir, non pas être gouvernez mais tyrannisez, n’ayant ni biens, ni parents, ni enfants, ni leur vie mesme qui soit à eux ? Souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautéz, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare, contre lequel il faudroit dépendre son sang et sa vie devant, mais d’un seul ; non pas d’une armée, non pas d’un Hercule ne d’un Samson,

  1. Mémoires de l’Estat de France sous Charles IX, 1576, t. III, p. 116 et suiv.