Page:Armaingaud - La Boétie, Montaigne et le Contr’un - Réponse à R. Dezeimeris.djvu/24

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Mon interprétation n’est donc pas contraire à la langue en général ni à la langue du xvie siècle. L’affirmation tranchante de M. Dezeimeris ne peut se maintenir, son erreur philologique est évidente, l’étrangeté n’est pas de mon côté, et la phrase du Contr’un peut être prise, soit dans le premier sens, soit dans le second.

Nous allons voir à quelle étrange conséquence, à quel paradoxe a été conduit M. Dezeimeris par son parti pris de n’accepter comme correctement français que le second sens, et d’en faire l’application à Charles VI. Charles VI, dit-il, était, comme le tyran du Contr’un, asservi, et asservi vilement à une femme. Cette femme, c’est la reine Isabeau ; il lui a été plus qu’asservi, il a été son « complaisant résolu, bien qu’averti ». M. Dezeimeris n’est vraiment pas généreux pour ce pauvre roi. Ce n’était pas assez d’avoir perdu la raison à vingt-quatre ans, d’avoir été l’innocent instrument de l’ambition de ses oncles ; il fallait qu’il devînt, non seulement le type historique du tyran, mais encore un mari complaisant.

Heureusement pour la mémoire de l’infortuné monarque, cette extraordinaire imputation ne peut supporter l’examen. Le fait de l’asservissement à Isabeau n’est pas plus réel que la complaisance pour sa conduite. Ce n’est pas à un fou, fût-il en même temps un tyran — ce qui n’est pas ici le cas — que l’auteur peut avoir voulu reprocher d’être dominé par une femme. Or, avant la folie du roi, parler d’asservissement serait un non-sens ; l’affection d’Isabeau pour son mari, même son endurante résignation à l’égard de ses infidélités était bien

    bien à que de. Littré cite : « jeunes cœurs sont bien empeschés à soutenir leurs désirs cachés » (La Fontaine). « On se trouve empêché à rendre l’élégance… » (Bossuet, Hist., II, 13). D’autre part, nous avons vu plus haut Bossuet dire aussi : « ils étaient empêchés de se défendre… » Par contre, je n’ai trouvé aucun exemple (Dictionnaire de Nicot, etc.) et M. Pierre Villey, qui a cherché également, n’en a pas trouvé non plus, — de : empesché de dans le sens de « occupé à », — quand il est suivi d’un infinitif. Le Dictionnaire de Nicot, 1906, le plus rapproché de la date de composition du Contr’un, donne trente-quatre exemples d’empescher… dans le sens d’obstare, inhibere, faire obstacle à…, il en donne moins dans le sens secondaire occupé à. Littré enfin, au mot « empêché » met au premier rang les trois sens : arrêté par une entrave, qui éprouve de la difficulté à ou pour, qui est embarrassé de faire… Le sens occupé à… est mis au dernier rang. Voici un autre exemple, dans la langue actuelle, d’empêché de dans le sens d’incapable de ou d’embarrassé de faire… : « il se trouva tout empesché de lui répondre » (Dictionnaire de l’Académie).