Page:Arnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 1.djvu/43

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jours c’est son ame qui parle ; toujours c’est au cœur qu’elle s’adresse ; c’est de la vertu, c’est de la nature qu’elle l’entretient, et vers le bien qu’elle le dirige.

» Mais la sensibilité, caractère principal du poëte illustra que nous regrettons, n’était pas seulement l’artifice et le charme de ses écrits. Elle se manifestait sur-tout dans sa conduite ; dans ses affections, et il l’aimait dans les autres. Ce grand homme chérissait les jeunes gens, et il se glorifiait de leur amitié. Lui demandait-on pourquoi ? « C’est qu’à leur âge, disait-il, elle est un sentiment ». Aurait-il reconnu, et serait-il vrai, que plus tard elle n’est souvent qu’un calcul ?

» Pour nous, fiers d’une préférence si honorable, nous y avons répondu. Toujours nous avons payé du plus tendre retour l’attachement de l’interprète de Virgile et de Milton. Nous nous disposions à lui donner une nouvelle preuve d’amour ; déjà sa couronne tressée de nos mains était prête à ceindre son front ; déjà l’heure était arrivée, nous espérions… Hélas ! et il n’y avait plus d’espoir ! nous nous étions réunis pour sa fête ; et nous avons suivi sa pompe funèbre ! Homme immortel ! la fatalité qui vient d’éteindre ton génie n’a point éteint dans nos cœurs l’amour que tes talens et tes vertus y ont allumé. Du séjour de la gloire, daigne abaisser tes regards sur ces lieux : vois-nous, pressés autour de tes restes, leur présenter nos dernières offrandes, et souris au vœu que nous faisons de t’aimer toujours, d’aimer toujours la vertu et la nature.

» Ah ! si la voix de ton jeune ami peut encore émouvoir ton ame, ô Delille ! ô mon maître ! ô mon père ! (ta bienveillance me permettait, me demandait ces doux noms), entends-le déplorer une perte prématurée, ne trouver de consolation que dans l’expression de sa douleur, et, malheureux émule d’une épouse et des sœurs les plus tendres, jurer fidélité à ta mémoire, et assiduité à tes écrits et à ton monument ».