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Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/195

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  ma femme, en les baisant, dévidait son fuseau.
L’un écalait des noix, l’autre teillait du chanvre,
jamais l’oisiveté n’entrait dedans ma chambre…[1]

La pièce d’Arthénice, que Racan publia bientôt sous le nom de Bergeries, n’est pas très habilement composée : elle est du moins exquise par les sentiments et le style.

L’amour trouvait dans notre poète un interprète charmant, plein de grâce et de fraîcheur, et parlant le pur langage du cœur, presque toujours.

On est séduit aussi par le sentiment de la nature qui respire en ces pages, et d’une nature toute marquée au coin de la Touraine : il n’est pas, dans la pièce, de bois sans rochers, de rochers sans « antre secret ». La poésie des arbres est vivement sentie et exprimée avec justesse : ce sont les ormeaux, tels ceux qui décoraient jadis la place de Saint-Pater, et dont l’ombre est favorable pour « vider en rond les verres et les pois » ; les alisiers qui aiment la rive et dont l’écorce se prête à l’inscription des chiffres d’amour ; les viornes qui grimpent sur les rochers ; les futaies « des vieux chênes ridés » qui offrent aux plaintes de ceux qui souffrent

  la liberté de leur ombre immortelle.

  1. Nous rétablissons l’avant-dernier vers avec sa verdeur primitive, tel que nous l’avons retrouvé dans l’édition originale de
    1625. Racan le remplaça plus tard par celui-ci :

    Le temps s’y ménageait comme chose sacrée ;
    (jamais l’oisiveté n’avait chez moi d’entrée).