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QUELQUES POÈTES

bable, à son voisin de campagne et ami de cœur René d’Armilly, il soupire ses admirables Stances sur la Retraite avec une plénitude forte de mélancolique harmonie. C’est le chef-d’œuvre du poète, parce qu’il y met, sans s’en douter, son âme tout entière, sa lassitude de la lutte, son ambition déçue, son besoin de repos, et en même temps son amour sincère de la campagne et sa soif sensée d’honnêteté rustique.

 
1. Thirsis, il faut penser à faire la retraite :
la course de nos jours est plus qu’à demi faite.
L’âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
errer au gré des flots notre nef vagabonde ;
il est temps de jouir des délices du port.

2. Le bien de la fortune est un bien périssable ;
quand on bâtit sur elle on bâtit sur le sable.
Plus on est élevé, plus on court de dangers :
les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
et la rage des vents brise plutôt le faîte
des maisons de nos rois que des toits des bergers[1].
 
3. Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire
effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
dont l’inutile soin traverse nos plaisirs,
et qui, loin retiré de la foule importune,
vivant dans sa maison, content de sa fortune,
a selon son pouvoir mesuré ses désirs !

4. Il laboure le champ que labourait son père ;
il ne s’informe point de ce qu’on délibère
dans ces graves conseils d’affaires accablés ;

  1. Le mot maison était, à cette date, susceptible de plus de noblesse qu’aujourd’hui, et l’on disait couramment « la maison forte » pour « le château fort ». Consulter sur ce vers et sur d’autres notre Lexique de Racan, à la fin de l’édition de thèse.