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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

saines, donc pas du tout dans un sens circonstanciel ; il ne s’agit pas du tout de la cruauté vice, de la cruauté bourgeonnement d’appétits pervers et qui s’expriment par des gestes sanglants, tels des excroissances maladives sur une chair déjà contaminée ; mais au contraire d’un sentiment détaché et pur, d’un véritable mouvement d’esprit, lequel serait calqué sur le geste de la vie même ; et dans cette idée que la vie, métaphysiquement parlant et parce qu’elle admet l’étendue, l’épaisseur, l’alourdissement et la matière, admet, par conséquence directe, le mal et tout ce qui est inhérent au mal, à l’espace, à l’étendue et à la matière. Tout ceci aboutissant à la conscience et au tourment, et à la conscience dans le tourment. Et quelque aveugle rigueur qu’apportent avec elles toutes ces contingences, la vie ne peut manquer de s’exercer, sinon elle ne serait pas la vie ; mais cette rigueur, et cette vie qui passe outre et s’exerce dans la torture et le piétinement de tout, ce sentiment implacable et pur, c’est cela qui est la cruauté.

J’ai donc dit « cruauté », comme j’aurais dit « vie » ou comme j’aurais dit « nécessité », parce que je veux indiquer surtout que pour moi le théâtre est acte et émanation perpétuelle, qu’il n’y a en lui rien de figé, que je l’assimile à un acte vrai, donc vivant, donc magique.

Et je cherche techniquement et pratiquement tous les moyens de rapprocher le théâtre de l’idée supérieure, et peut-être excessive, en tout cas vivante et violente que je m’en fais.

Pour ce qui est de la rédaction du Manifeste elle-même je reconnais qu’elle est abrupte et en grande partie manquée.

Je pose des principes rigoureux, inattendus, d’aspect rébarbatif et terrible, et au moment où l’on s’attend à me voir les justifier je passe au principe suivant.

Pour tout dire la dialectique de ce Manifeste est faible. Je saute sans transition d’une idée à l’autre. Aucune