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Page:Artaud - Le théâtre et son double - 1938.djvu/30

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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

L’esprit croit ce qu’il voit et fait ce qu’il croit : c’est le secret de la fascination. Et saint Augustin ne révoque pas en doute un seul instant, dans son texte, la réalité de cette fascination.

Cependant il y a des conditions à retrouver pour faire naître dans l’esprit un spectacle qui le fascine : et ce n’est pas une simple affaire d’art.

Car si le théâtre est comme la peste, ce n’est pas seulement parce qu’il agit sur d’importantes collectivités et qu’il les bouleverse dans un sens identique. Il y a dans le théâtre comme dans la peste quelque chose à la fois de victorieux et de vengeur. Cet incendie spontané que la peste allume où elle passe, on sent très bien qu’il n’est pas autre chose qu’une immense liquidation.

Un désastre social si complet, un tel désordre organique, ce débordement de vices, cette sorte d’exorcisme total qui presse l’âme et la pousse à bout, indiquent la présence d’un état qui est d’autre part une force extrême et où se retrouvent à vif toutes les puissances de la nature au moment où celle-ci va accomplir quelque chose d’essentiel.

La peste prend des images qui dorment, un désordre latent et les pousse tout à coup jusqu’aux gestes les plus extrêmes ; et le théâtre lui aussi prend des gestes et les pousse à bout : comme la peste il refait la chaîne entre ce qui est et ce qui n’est pas, entre la virtualité du possible et ce qui existe dans la nature matérialisée. Il retrouve la notion des figures et des symboles-types, qui agissent comme des coups de silence, des points d’orgue, des arrêts de sang, des appels d’humeur, des poussées inflammatoires d’images dans nos têtes brusquement réveillées ; tous les conflits qui dorment en nous, il nous les restitue avec leurs forces et il donne à ces forces des noms que nous saluons comme des symboles : et voici qu’a lieu devant nous une bataille de symboles, rués les uns contre les autres dans un impossible piétinement ;