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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

langage accessoire pour l’auteur dramatique, et dont, surtout actuellement, il ne tient plus du tout compte dans l’établissement de ses pièces. Donc passons.)

Ce langage fait pour les sens doit au préalable s’occuper de les satisfaire. Cela ne l’empêche pas de développer ensuite toutes ses conséquences intellectuelles sur tous les plans possibles et dans toutes les directions. Et cela permet la substitution à la poésie du langage, d’une poésie dans l’espace qui se résoudra justement dans le domaine de ce qui n’appartient pas strictement aux mots.

Sans doute aimerait-on avoir, pour mieux comprendre ce que je veux dire, quelques exemples de cette poésie dans l’espace, capable de créer des sortes d’images matérielles, équivalant aux images des mots. On retrouvera ces exemples un peu plus loin.

Cette poésie très difficile et complexe revêt de multiples aspects : elle revêt d’abord ceux de tous les moyens d’expression utilisables sur une scène[1], comme musique, danse, plastique, pantomime, mimique, gesticulation, intonations, architecture, éclairage et décor.

Chacun de ces moyens a sa poésie à lui, intrinsèque, ensuite une sorte de poésie ironique qui provient de la façon dont il se combine avec les autres moyens d’expression ; et les conséquences de ces combinaisons, de leurs réactions et de leurs destructions réciproques, sont faciles à apercevoir.

Je reviendrai un peu plus loin sur cette poésie qui ne peut avoir toute son efficacité que si elle est concrète, c’est-à-dire si elle produit objectivement quelque chose, du fait de sa présence active sur la scène ; — si un son comme dans le théâtre Balinais équivaut à un geste, et

  1. Dans la mesure où ils se révèlent capables de profiter des possibilités physiques immédiates que la scène leur offre pour substituer aux formes figées de l’art des formes vivantes et menaçantes, par lesquelles le sens de la vieille magie cérémonielle peut retrouver sur le plan du théâtre une nouvelle réalité ; dans la mesure où ils cèdent à ce qu’on pourrait appeler la tentation physique de la scène.