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Page:Artaud - Le théâtre et son double - 1938.djvu/53

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LE THÉATRE ALCHIMIQUE

Or cette réalité n’est pas humaine mais inhumaine, et l’homme avec ses mœurs ou avec son caractère y compte, il faut le dire, pour fort peu. Et c’est à peine si de l’homme il pourrait encore rester la tête, et une sorte de tête absolument dénudée, malléable et organique, où il demeurerait juste assez de matière formelle pour que les principes y puissent déployer leurs conséquences d’une manière sensible et achevée.

Il faut d’ailleurs, avant d’aller plus loin, remarquer l’affection étrange que tous les livres traitant de la matière alchimique professent pour le terme de théâtre, comme si leurs auteurs avaient senti dès l’origine tout ce qu’il y a de représentatif, c’est-à-dire de théâtral dans la série complète des symboles par lesquels se réalise spirituellement le Grand Œuvre, en attendant qu’il se réalise réellement et matériellement, et aussi dans les écarts et errements de l’esprit mal informé, autour de ces opérations, et dans le dénombrement on pourrait dire « dialectique » de toutes les aberrations, phantasmes, mirages et hallucinations par lesquels ne peuvent manquer de passer ceux qui tentent ces opérations avec des moyens purement humains.

Tous les vrais alchimistes savent que le symbole alchimique est un mirage comme le théâtre est un mirage. Et cette perpétuelle allusion aux choses et au principe du théâtre que l’on trouve dans à peu près tous les livres alchimiques, doit être entendue comme le sentiment (dont les alchimistes avaient la plus extrême conscience) de l’identité qui existe entre le plan sur lequel évoluent les personnages, les objets, les images, et d’une manière générale tout ce qui constitue la réalité virtuelle du théâtre, et le plan purement supposé et illusoire sur lequel évoluent les symboles de l’alchimie.

Ces symboles, qui indiquent ce que l’on pourrait appeler des états philosophiques de la matière, mettent déjà l’esprit sur la voie de cette purification ardente, de cette