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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

tous les soubassements de la matière existante, et avoir refait ce travail en double dans les limbes incandescents de l’avenir. Car on dirait que pour mériter l’or matériel, l’esprit ait dû d’abord se prouver qu’il était capable de l’autre, et qu’il n’ait gagné celui-ci, qu’il ne l’ait atteint, qu’en y condescendant, en le considérant comme un symbole second de la chute qu’il a dû faire pour retrouver d’une manière solide et opaque, l’expression de la lumière même, de la rareté et de l’irréductibilité.

L’opération théâtrale de faire de l’or, par l’immensité des conflits qu’elle provoque, par le nombre prodigieux de forces qu’elle jette l’une contre l’autre et qu’elle émeut, par cet appel à une sorte de rebrassement essentiel débordant de conséquences et surchargé de spiritualité, évoque finalement à l’esprit une pureté absolue et abstraite, après laquelle il n’y a plus rien, et que l’on pourrait concevoir comme une note unique, une sorte de note limite, happée au vol et qui serait comme la partie organique d’une indescriptible vibration.

Les Mystères Orphiques qui subjuguaient Platon devaient posséder sur le plan moral et psychologique un peu de cet aspect transcendant et définitif du théâtre alchimique, et avec des éléments d’une extraordinaire densité psychologique, évoquer en sens inverse des symboles de l’alchimie, qui donnent le moyen spirituel de décanter et de transfuser la matière, évoquer la transfusion ardente et décisive de la matière par l’esprit.

On nous apprend que les Mystères d’Eleusis se bornaient à mettre en scène un certain nombre de vérités morales. Je crois plutôt qu’ils devaient mettre en scène des projections et des précipitations de conflits, des luttes indescriptibles de principes, prises sous cet angle vertigineux et glissant où toute vérité se perd en réalisant la fusion inextricable et unique de l’abstrait et du concret, et je pense que par des musiques d’instruments et des notes, des combinaisons de couleurs et de formes, dont