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SUR LE THÉATRE BALINAIS

venté : les acteurs avec leurs costumes composent de véritables hiéroglyphes qui vivent et se meuvent. Et ces hiéroglyphes à trois dimensions sont à leur tour surbrodés d’un certain nombre de gestes ; de signes mystérieux qui correspondent à l’on ne sait quelle réalité fabuleuse et obscure que nous autres, gens d’Occident, avons définitivement refoulée.

Il y a quelque chose qui participe de l’esprit d’une opération magique dans cette intense libération de signes, retenus d’abord et jetés ensuite soudainement dans l’air.

Un bouillonnement chaotique, plein de repères, et par moment étrangement ordonné, crépite dans cette effervescence de rythmes peints, où le point d’orgue joue sans cesse et intervient comme un silence bien calculé.


Cette idée de théâtre pur qui est chez nous uniquement théorique, et à qui personne n’a jamais tenté de donner la moindre réalité, le théâtre Balinais nous en propose une réalisation stupéfiante en ce sens qu’elle supprime toute possibilité de recours aux mots pour l’élucidation des thèmes les plus abstraits ; — et qu’elle invente un langage de gestes faits pour évoluer dans l’espace et qui ne peuvent avoir de sens en dehors de lui.

L’espace de la scène est utilisé dans toutes ses dimensions et on pourrait dire sur tous les plans possibles. Car à côté d’un sens aigu de la beauté plastique ces gestes ont toujours pour but final l’élucidation d’un état ou d’un problème de l’esprit.

C’est du moins ainsi qu’ils nous apparaissent.

Aucun point de l’espace et en même temps aucune suggestion possible n’est perdue. Et il y a un sens comme philosophique du pouvoir que détient la nature de se précipiter tout à coup en chaos.

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On sent dans le théâtre Balinais un état d’avant le