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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

hasard son langage propre, s’il serait absolument chimérique de le considérer comme un art indépendant et autonome, au même titre que la musique, la peinture, la danse, etc., etc…

On trouve en tout cas que ce langage s’il existe se confond nécessairement avec la mise en scène considérée :

1o D’une part, comme la matérialisation visuelle et plastique de la parole.

2o Comme le langage de tout ce qui peut se dire et se signifier sur une scène indépendamment de la parole, de tout ce qui trouve son expression dans l’espace, ou qui peut être atteint ou désagrégé par lui.

Ce langage de la mise en scène considéré comme le langage théâtral pur, il s’agit de savoir s’il est capable d’atteindre le même objet intérieur que la parole, si du point de vue de l’esprit et théâtralement il peut prétendre à la même efficacité intellectuelle que le langage articulé. On peut en d’autres termes se demander s’il peut non pas préciser des pensées, mais faire penser, s’il peut entraîner l’esprit à prendre des attitudes profondes et efficaces de son point de vue à lui.

En un mot poser la question de l’efficacité intellectuelle de l’expression par les formes objectives, de l’efficacité intellectuelle d’un langage qui n’utiliserait que les formes, ou le bruit, ou le geste, c’est poser la question de l’efficacité intellectuelle de l’art.

Si nous en sommes venus à n’attribuer à l’art qu’une valeur d’agrément et de repos et à le faire tenir dans une utilisation purement formelle des formes, dans l’harmonie de certains rapports extérieurs, cela n’entache en rien sa valeur expressive profonde ; mais l’infirmité spirituelle de l’Occident qui est le lieu par excellence où l’on a pu confondre l’art avec l’esthétisme, est de penser qu’il pourrait y avoir une peinture qui ne servirait qu’à peindre, une danse qui ne serait que plastique, comme