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Page:Artaud - Le théâtre et son double - 1938.djvu/78

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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

domaine social, le drame demeurera toujours d’intérêt moral par la façon dont ses conflits attaqueront et désagrégeront les caractères. Et il s’agira toujours bien d’un domaine où les résolutions verbales de la parole conserveront leur meilleure part. Mais ces conflits moraux par leur nature même n’ont pas absolument besoin de la scène pour se résoudre. Faire dominer à la scène le langage articulé ou l’expression par les mots sur l’expression objective des gestes et de tout ce qui atteint l’esprit par le moyen des sens dans l’espace, c’est tourner le dos aux nécessités physiques de la scène et s’insurger contre ses possibilités.

Le domaine du théâtre n’est pas psychologique mais plastique et physique, il faut le dire. Et il ne s’agit pas de savoir si le langage physique du théâtre est capable d’arriver aux mêmes résolutions psychologiques que le langage des mots, s’il peut exprimer des sentiments et des passions aussi bien que les mots, mais s’il n’y a pas dans le domaine de la pensée et de l’intelligence des attitudes que les mots sont incapables de prendre et que les gestes et tout ce qui participe du langage dans l’espace atteignent avec plus de précision qu’eux.

Avant de donner un exemple des relations du monde physique avec des états profonds de la pensée, on nous permettra de nous citer nous-mêmes :

« Tout vrai sentiment est en réalité intraduisible. L’exprimer c’est le trahir. Mais le traduire c’est le dissimuler. L’expression vraie cache ce qu’elle manifeste. Elle oppose l’esprit au vide réel de la nature, en créant par réaction une sorte de plein dans la pensée. Ou, si l’on préfère, par rapport à la manifestation-illusion de la nature elle crée un vide dans la pensée. Tout sentiment puissant provoque en nous l’idée du vide. Et le langage clair qui empêche ce vide, empêche aussi la poésie d’apparaître dans la pensée. C’est pourquoi une image, une allégorie, une figure qui masque ce qu’elle voudrait révéler ont plus