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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

opérations de magie de certaines peuplades, s’épuise ; — et ces masques ne sont plus bons qu’à rejeter dans les musées — de même s’épuise l’efficacité poétique d’un texte, et la poésie et l’efficacité du théâtre est celle qui s’épuise le moins vite, puisqu’elle admet l’action de ce qui se gesticule et se prononce, et qui ne se reproduit jamais deux fois.

Il s’agit de savoir ce que nous voulons. Si nous sommes tous prêts pour la guerre, la peste, la famine et le massacre nous n’avons même pas besoin de le dire, nous n’avons qu’à continuer. Continuer à nous comporter en snobs, et à nous porter en masse devant tel ou tel chanteur, tel ou tel spectacle admirable et qui ne dépasse pas le domaine de l’art (et les ballets russes même au moment de leur splendeur n’ont jamais dépassé le domaine de l’art) telle ou telle exposition de peinture de chevalet où éclatent de-ci de-là des formes impressionnantes mais au hasard et sans une conscience véridique des forces qu’elles pourraient remuer.

Il faut que cessent cet empirisme, ce hasard, cet individualisme et cette anarchie.

Assez de poèmes individuels et qui profitent à ceux qui les font beaucoup plus qu’à ceux qui les lisent.

Assez une fois pour toutes de ces manifestations d’art fermé, égoïste et personnel.

Notre anarchie et notre désordre d’esprit est fonction de l’anarchie du reste, — ou plutôt c’est le reste qui est fonction de cette anarchie.

Je ne suis pas de ceux qui croient que la civilisation doit changer pour que le théâtre change ; mais je crois que le théâtre utilisé dans un sens supérieur et le plus difficile possible a la force d’influer sur l’aspect et sur la formation des choses : et le rapprochement sur la scène de deux manifestations passionnelles, de deux foyers vivants, de deux magnétismes nerveux est quelque chose d’aussi entier, d’aussi vrai, d’aussi déterminant même,