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Page:Arvor - Dent pour dent, scènes irlandaises, 1906.djvu/155

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— Que n’êtes-vous un pauvre pêcheur tel que nous, dit-elle d’une voix presque imperceptible.

— On ne peut rien contre sa destinée, Lizzy ; ce flot qui vient de baigner le sable que nous foulons aux pieds ne se fixe jamais sur la rive qu’il embrasse ; il en est ainsi de nous, fragiles instruments, que servons à l’exécution du plan divin dans le monde. Il faut des larmes, il faut du sang, il faut des victimes, je serai de celles-là.

Quand les proscrits se furent mis en route, Tomy qui marchait près de son ami Clary, lui dit malicieusement :

— Que pensez-vous, mon cher, de la proposition que vous me faisiez hier !

— Laquelle, d’émigrer ?

— Non, de devenir l’heureux époux de la gentille Lizzy ?

— Si vous le vouliez bien…

— Je n’ai ni le désir, ni l’espoir de réussir ; mais vous même, Clary, le spectre des O’Warn vous a-t-il donc défendu de songer à tout bonheur ici-bas ?

Le jeune homme sourit tristement.

— Tomy, le cœur de l’homme est insondable, l’âme comme la nature a ses mystères, ses aspirations, ses douleurs ; ne savez-vous pas qu’il est des êtres prédestinés à la souffrance qui n’entrevoient le bonheur que pour conserver le regret de l’avoir perdu ?

— Clary, vous êtes toujours sombre, découragé. Qu’est-ce donc qui a sitôt brisé en vous l’espérance, cette flamme de la jeunesse, ce bien suprême qui n’abandonne jamais l’homme pendant la durée de son pèlerinage terrestre ? Certes, je souffre cruellement à la pensée de perdre Colette ; eh bien, envers et contre tout, j’espère encore.

— Colette vous aime, fit Clary.

— Je ne sais pas, je voudrais le croire tant je le désire.