Page:Asselineau - La Double Vie, 1858.djvu/226

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par une génération de croque-morts, invalides de la pensée, Prométhées en linge sale, Sisyphes en habit râpé. Eh ! quel roc ne semblera doux à rouler à ces pauvres âmes broyées pendant toute une vie entre ces deux cylindres terribles : l’ambition et l’impuissance !

Je ne sais, mon voisin, si vous m’avez bien compris, j’en doute ; mais enfin j’étais de ceux-là ! Moi aussi je devais cacher le renard sous ma robe, interroger les murs d’un œil terne, et demander compte à Dieu de l’inégalité de mes forces et de mes désirs.

Mon habit était peut-être moins délabré, parce que j’avais de l’argent pour le renouveler ; mais qu’importe ?

Une amitié, un amour, une haine, voilà le triple complément de toute vie. J’avais une maîtresse, un ami, un ennemi : mon ami, mon bon, mon blond Schmidt, le peintre ; ma maîtresse, la baronne Lydie, une coquette ; mon ennemi, le pianiste Gatien, un plat et méchant animal.

Après cela, si vous vous attendez à une histoire d’amour, un amour ordinaire surtout, vous avez tort. Entre nous, l’amour ne tient réellement place dans la vie qu’en raison des sentiments étrangers qu’il fait naître. Pour moi, du jour où j’aimai Lydie, elle me donna pour rival et pour ennemi le musicien Gatien.

Je me rends justice, mon voisin ; d’ailleurs ce n’est pas le temps, ce n’est pas le lieu non plus, de