Page:Asselineau - La Double Vie, 1858.djvu/242

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sans me quitter des yeux, occuper son poste à ma gauche.

— Où suis-je ?

Ces mots ne furent pas articulés ; j’avais perdu la faculté de m’exprimer par les sons. Le géant, néanmoins, avait compris ma question et y répondit.

Je reconnus ainsi que désormais je pouvais exprimer ma pensée sans le secours d’aucun organe ; penser et parler étaient devenus chose identique. Et c’est de cette façon que le dialogue s’établit entre le géant et moi.

J’étais, je vous traduis sa réponse, dans la salle d’attente du greffe, où tous ceux qui sont morts par immersion viennent consigner les causes volontaires ou accidentelles de leurs trépas.

Cette formalité est une espèce d’instruction ordonnée en vue du jugement dernier. Le corps est ensuite renvoyé à fleur d’eau pour être recueilli et inhumé. Je m’expliquai par là pourquoi les cadavres restent souvent longtemps au fond de l’eau avant de revenir à la surface.

Le gardien (je le désignerai ainsi) m’indiqua successivement parmi les morts qui m’entouraient un vieillard qui s’était suicidé par amour, une jeune femme noyée par désespoir de misère ; le blessé, dont j’ai déjà parlé, avait été égorgé par des malfaiteurs et jeté ensuite à la rivière.

Durant ces explications, le géant avait quitté la