Page:Association des écrivains et artistes révolutionnaires - Commune, numéros 5 à 10, janvier à juin 1934.djvu/483

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Il respirait l’air de la campagne, enivré de joie, plein de confiance en l'avenir.

Il traînait cependant partout avec lui, jusque dans ses jeux, des préoccupations qui indiquaient que sa vie misérable à Paris avec sa mère et sa sœur, n’était pas loin ni dans le passé ni dans l’avenir. Quand il fut rétabli et que Thérèse lui offrit de lui apprendre à nager, il accepta et dit :

— Ça peut toujours servir dans la vie.

Il fit la même réflexion quand André lui apprit à monter à bicyclette. Thérèse se moquait de lui parce qu’il avait l’esprit pratique, mais pour lui ce n’était pas une affaire risible, mais très sérieuse. Quand ils allaient se promener dans la vallée de Champdamoy ou dans les prairies, il avait comme un poids qui lui courbait la nuque et le forçait à chercher à terre quelque chose à cueillir qui fût bon à manger, un vieil instinct réveillé qui l’agaçait et l’empêchait de regarder le ciel. Quand les noisettes furent mûres, il n’y en eut pas un comme lui pour les cueillir ; il y apportait une sorte de fièvre, et tandis qu’André et Thérèse en mangeaient la moitié en les attrapant, lui cueillait sans arrêt, se suspendait aux branches fléchissantes, imprudent, et sortait de son arbre le panier plein, la figure rouge, les mains et les mollets griffés, la chemise déchirée.

— Tu es payé au mille ? demandait André, en lui mangeant ses noisettes.

Jean riait, partageait. Il ne comprenait rien lui même à cette fièvre qu’il mettait dans la cueillette et se promettait d’être plus modéré une autre fois, d’autant plus que ses égratignures le cuisaient et que Thérèse regardait de près la déchirure de sa chemise ou de sa culotte qu’elle devrait réparer sans que sa mère le voie, afin que celle-ci ne se fâche pas contre l’enfant.

À table, Thérèse remarquait, non sans gêne, comment il engloutissait la nourriture. Il était visible qu’il n’avait jamais mangé à sa faim jusqu’à ce qu’il vint à Frotey et son estomac impatient enlevait à sa bouche les aliments qu’il n’avait pas le temps de mâcher. Pour faire comme Thérèse, André et la grand’mère, il épluchait son camembert puis, à la fin, mangeait les croûtes du fromage. Il faisait de même avec les fruits, les pelait, puis mangeait la peau. Il ne pouvait pas jeter un fruit