Page:Assollant - La Chasse aux lions.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
LA CHASSE AUX LIONS

n’y a jamais eu personne pour piger avec Pitou. Je ne vous le cache pas, ça fait plaisir d’avoir un ami comme lui, ça vaut mieux que trois millions placés à la Banque de France. Un fameux établissement, pourtant, et solide, à ce que je me suis laissé dire ! Eh bien, Pitou était plus solide encore. Quand je l’ai à côté de moi, coude à coude, je suis sûr de tout.

Pourtant, à force de sauter et de faire des cabrioles pour ne pas lâcher l’épervier ni la lionne qui était dessous, je sentais qu’elle finirait par jeter l’un de nous deux par terre et qu’alors elle serait libre de nous étrangler, chose désagréable ! Elle déchirait et rompait les nœuds de l’épervier avec les dents. À la fin, elle finit par passer sa tête à travers un grand trou et se trouva habillée de l’épervier comme une dame qui a mis son châle pour aller à la messe.

Elle était alors debout sur ses quatre pattes et rugissait de plus en plus fort en regardant du côté des montagnes de la Kabylie. Elle avait l’air d’appeler sa famille au secours.

Ah ! Dieu du ciel ! Il n’aurait plus manqué que cela ! voir venir à son secours son beau-père et ses beaux-frères, sans compter ses sœurs et ses cousines ! Nous aurions été dans de jolis draps !

Et justement, là-bas, là-bas, dans la montagne, de l’autre côté de la vallée, nous entendions rugir à plus d’un quart de lieue, et, de minute en minute, les rugissements se rapprochaient, renvoyés par l’écho des rochers. Au bout d’un long moment (oh ! oui, qu’il était long ! on n’en fait plus comme celui-là), voilà que je vois venir, à trois cents pas de nous, deux lionnes et trois lions, tous grands et forts comme père et mère. Le plus grand et le plus fort des cinq, un mâle celui-là, était en avant et regardait de tous côtés comme pour chercher d’où venaient les cris de la lionne.

Enfin il nous vit.

Franchement, à ce moment-là, j’aurais mieux aimé que nous fussions, Pitou et moi, occupés à manger le rata dans la caserne avec les camarades. Oui, c’est plus sûr et moins trompeur.